Ce qui reste en forêt

de Colin Niel (édition Babel Noir)

En cet été, lecture de quelques polars ... et pour commencer j'ai découvert cette enquête du capitaine André Anato dans le milieu des orpailleurs guyannais. Un chercheur du CNRS disparaît , or ce que la forêt prend "reste en forêt". D'autant que le mystère se complexifie avec la disparition d'un albatros retrouvé mort sur une plage.
Mais le polar ne se limite pas à une intrigue policière : il nous plonge dans la vie de ce capitaine guyannais d'origine mais élevé en région parisienne et qui peine à retrouver ses racines. Ses adjoints Girbal et Vacaresse complètent cette étude psychologique de l'homme déplacé.
Les problèmes de cette région d'Amazonie s'entrecroisent dans le roman : la déforestation, la misère des orpailleurs, la vanité des frontières en territoire sauvage. En bref, à l'instar de Mankell ou d'Indridason, c'est un vrai socio-polar comme je les aime.

" Il lui tardait que la journée se termine, de rejoindre Régina. Une bourgade isolée au bord de l’Approuague, où il avait fait son trou, appris à parler brésilien et un peu créole.
Il perçut le bruit [...]
– Toc... Toc...
Un son lointain, à peine audible, qui peinait à parvenir jusqu’à lui.
– Toc... Toc... Toc...
Le gendarme tendit l’oreille. Un animal, un oiseau ? Non, les coups étaient trop réguliers. Une grenouille peut-être.
–Eh, les gars ! Venez voir par là.
Les collègues le rejoignirent. Le bruit se poursuivait telle la cadence imperturbable d’un métronome. Humain, conclurent-ils.
Tous trois connaissaient la technique de survie enseignée à tout nouvel arrivant en Amazonie française. Un seul arbre permet de se faire entendre aussi loin : le bois cathédrale, lorsqu’on frappe ses fins contreforts d’un bâton rigide. Jusqu’à un kilomètre, disait-on. Ils échangèrent un regard. Pas de doute, quelqu’un, quelque part, tentait d’attirer l’attention. Ils remballèrent leur paquetage, essorèrent leurs chaussettes et se laissèrent guider par le rythme monotone.
Ils gravirent une butte raide parmi les troncs humides et les jeunes pousses qui cherchaient la lumière pour rejoindre leurs aînés, marquant leur itinéraire au sabre. Un sous-bois sombre et dense. Les coups se faisaient plus audibles à mesure qu’ils avançaient, fébriles à l’idée de découvrir le disparu sain et sauf.
– TOC... TOC...
Ses collègues disaient donc vrai, pensa le militaire, celui-là connaît la jungle et toutes les méthodes pour y rester vivant. Ils cheminèrent sur une ligne de crête, durent franchir une forêt de lianes impénétrable, longèrent une crique étroite à l’eau cristalline.
Puis, soudain, plus rien. Un silence humide. Seuls persistaient les chants de la faune.
– On continue, ça venait de par là.
Ils parcoururent les derniers mètres qui les séparaient de l’arbre providentiel. Majestueux. Son tronc tout en contreforts pareils à des voilages filait vers le ciel, emportant avec lui quelques lianes noueuses.
Mais, de présence humaine, aucune. Une odeur, en revanche, agressive et puissante. Les gendarmes mirent une main à la bouche. Aucun doute possible.
L’odeur de la mort. Toute proche."

Sur ma lancée, j'ai lu également la première enquête du capitaine Anato : "Les hamacs de carton", un peu moins élaboré mais très intéressant également.