La bascule du souffle

de Herta Müller

Encore un livre pris par hasard à la BM et d'emblée je suis sidéré par la beauté de l'écriture, en traduction pourtant! Toute vérification faite, je découvre que cette illustre inconnue est prix Nobel de littérature 2009...bonjour ma culture.

Ce roman dur m'a accroché immédiatement, alors que je suis loin d'être fan des histoires de camps de concentration.  Herta Müller , elle-même victime de la dictature de Ceaucescu, avait prévu d'écrire un livre à 4 mains avec  un poète roumain, Oskar Pastior, qui  suspecté d'avoir soutenu les nazis. fut déporté dans un camp de travail soviétique, à la  fin de la seconde guerre mondiale. A son décès, en hommage, elle décida donc de le rédiger seule.

De manière tout à fait étonnante, c'est par l'intermédiaire des objets de la vie courante qu'elle nous permet de partager la misère et la souffrance des condamnés, le passage où elle évoque le ciment par exemple est époustouflant. Les détails du quotidien jouent un rôle central , presque documentaire comme dans cette partie du récit de voyage .

À force de rabâcher ce refrain solennel, on ne savait plus si on le chantait pour de bon, vu que l’air ambiant chan-tait. Le refrain nous clapotait dans la tête, adoptait le rythme du train, blues du wagon à bestiaux et, sur des kilo-mètres, chant du temps mis en marche. Ce fut la chanson la plus longue de toute ma vie, les femmes la chantèrent pen-dant cinq ans, et lui donnèrent le mal du pays que nous avions tous. La porte du wagon était plombée de l’exté-rieur. Cette porte coulissante à roulettes s’ouvrit quatre fois. À deux reprises, quand nous étions encore sur le terri-toire roumain, on nous lança dans le wagon une demi-chèvre dépecée, sciée en deux. Raidie par le froid, elle fit un grand bruit en tombant. Cette première chèvre nous servit de combustible : nous la jetâmes au feu après l’avoir cassée en morceaux. Sèche comme une trique, elle brûlait bien, sans empester. La deuxième chèvre fit circuler le mot pastrami, de la viande fumée en tranches. Nous nous chauffâmes avec, en riant. Elle était aussi raide et bleue que la première, une terreur de carcasse. Nous avions ri un peu vite ; c’était bien présomptueux de dédaigner ces deux chèvres roumaines et leurs bienfaits.La familiarité augmentait au fil du temps, qui traînait en longueur. Les petits gestes s’effectuaient dans l’exiguïté du wagon : s’asseoir, se lever, fouiller dans sa valise, sortir ses affaires, les ranger. Aller aux toilettes derrière deux couver-tures maintenues en l’air. Tous ces petits riens s’enchaî-naient. Dans un wagon à bestiaux, tous les traits distinctifs sont amoindris. On est plus parmi les autres qu’avec soi-même. Il était parfaitement inutile de prendre des gants : on était là pour les autres, comme à la maison.

E

A noter, la qualité de la traduction de Claire de Oliveira

Un roman donc à lire absolument