Trois titres sur le bonheur

Quelques difficutés à lire ces temps ...j'ai donc oublié romans ou polars pour me consacrer à des sujets plus nobles (humour...)
Je me suis donc penché sur le bonheur, en commençant par la lecture du livre de Laurence Devillairs: Un bonheur sans mesure.
Je ne connaissais pas cette philosophe mais son approche est très intéressante. Pour résumer l'essentiel, elle constate que nous confondons souvent éléments de bien être, petits conforts et vrai bonheur. Le vrai bonheur n'est pas une vie sans malheur; il est transcendance, toujours en devenir.
J'ai beaucoup aimé également la progression de la réflexion qui s'appuie sur plusieurs philosophes notoires et autres poètes. Réflexion très nietzchéenne, mais qui m'a surtout permis de découvrir un poète que je ne connaissais que de nom : Fernando Pessoa.
Donc le livre de Devillairs, plus qu'un enième livre sur le bonheur...à lire!

Et du coup je suis allé lire Pessoa: à la BM, je tombai par hasard sur le recueil du Gardeur de troupeaux ...Que c'est beau !

Lorsque viendra le printemps,
si je suis déjà mort,
les fleurs fleuriront de la même manière
et les arbres ne seront pas moins verts qu'au printemps passé.
La réalité n'a pas besoin de moi.
J'éprouve une joie énorme
à la pensée que ma mort n'a aucune importance.
Si je savais que demain je dois mourir
et que le printemps est pour après-demain,
je serais content qu'il soit pour après-demain.
Si c'est là son temps, quand viendra-t-il sinon en son temps ?
J'aime que tout soit réel et que tout soit précis ;
et je l'aime parce qu'il en serait ainsi, même si je ne l'aimais pas.
C'est pourquoi, si je meurs sur-le-champ, je meurs content,
parce que tout est réel et tout est précis.
On peut, si l'on veut, prier en latin sur mon cercueil.
On peut, si l'on veut, danser et chanter tout autour.
Je n'ai pas de préfèrences pour un temps où je ne pourrais plus avoir de préférences.
Ce qui sera, quand cela sera, c'est cela qui sera ce qui est."

Tu parles de civilisation, tu dis qu'elle ne devrait pas être,
ou qu'elle devrait être différente.
Tu dis que tous les hommes souffrent, ou la majorité, avec les choses humaines disposées
de cette manière.
Tu dis que si elles étaient différentes, ils souffriraient moins.
Tu dis que si elles étaient selon tes voeux, cela vaudrait mieux.
J'écoute et je ne t'entends pas.
Pourquoi donc voudrais-je t'entendre?
Si je t'entendais je n'en serais pas plus avancé.
Si les choses étaient différentes, elles seraient différentes, voilà tout.
Si les choses étaient selon ton coeur, elles seraient selon ton coeur.
Malheur à toi et à tous ceux qui passent leur existence à vouloir inventer la machine à
faire du bonheur!

Et pour faire écho à cette approche, que pouvait-il y avoir de mieux que l'essai d'Edgar Cabanas (Docteur en psychologie) et Eva Illouz(Sociologue) : Happycratie
Pour l'essentiel,les auteurs s'attaquent à tous les nouvelles pseudo-sciences sur le bonheur et autres résiliences...Par delà le côté machine à fric, ils en montrent bien les limites socio-politiques tant il est vrai que ces nouvelles théories sont très étroitement liées , tout à la fois résultantes et cautionnements,à ce néo-libéralisme qui prend les commandes de nos sociétés.
Lecture très salutaire et complémentaire à celle de Laurence Devillairs.

Aujourd'hui,la pleine conscience est littéralement chérie par les"experts du bonheur", apôtres de la psychologie positive en tête. C'est qu'elle convient à merveille,en effet,à une science et à une pratique professionnelle qui réifient l'intériorité, poussent à intérioriser la responsabilité et font de l'obsession de l'amélioration de soi un impératif moral, un besoin personnel et un atout économique.C'est aussi qu'elle s'articule parfaitement à la conception néo-libérale du monde,aux postulats individualistes et à la conception pour le moins étroite du social qui distinguent ces chercheurs et ces professionnels du bonheur.