La femme gelée

d'Annie Ernaux

Dans la foulée de ma lecture des Années, j'ai attaqué un second roman : La femme gelée.

Tout aussi autobiographique que le précédent , et à travers tous les stades de l'existence, enfance, adolescence, mariage et suite envisagée, s'appuyant sur tous les petits éléments du quotidien , ce roman est en fait une constante réflexion sur les évidentes inégalités entre hommes et femmes dans notre société. Avec humour et causticité, les rêves de la narratrice s'ébrèchent au contact de la vraie vie.

Aujourd'hui je veux dire la vie non prévue, inimaginable à dix-huit ans, entre les bouillies, la vaccination au tétracoq, la culotte plastique à savonner, le sirop Delabarre sur les gencives. La charge absolue, complète, d'une existence. Attention, pas la responsabilité! Je l'élève seule, le Bicou, mais sous surveillance. Qu'est-ce qu'il a dit le docteur, il a les ongles trop longs tu devrais les lui couper, qu'est-ce qu'il a au genou, il est tombé? tu n'étais donc pas là? Des comptes à rendre, tout le temps, mais pas le ton tyrannique, du doucereux, du normal. Quand le soir il prend dans ses bras le Bicou radieux, nourri, débarbouillé, culotté de frais pour la nuit, c'est comme si j'avais vécu la journée entière pour arriver à ces dix minutes de la présentation de l'enfant au père. Il le fait sauter en l'air, le chatouille, le couvre de bisous. Je les regardais tous les deux, je riais, un contentement lâche. Des heures de garde, de soins, de renoncement à moi. Comme sa mère à lui. De quoi te plains-tu, les filles mères et les divorcées n'ont pas d'homme à qui faire l'offrande de leurs sacrifices, le soir. Mais des fois, au Jardin, derrière la poussette, j'ai eu l'impression étrange de promener Son Enfant, pas le mien, d'être la pièce active et obéissante d'un système aseptisé, harmonieux, qui gravitait autour de lui, le mari et le père, et qui le rassurait. Femme moderne, panta- lon et caban fourré, avec enfant dans les allées. Pour faire bonne mesure quelques cygnes sur le lac ou une nuée de pigeons. Une gravure qui lui aurait plu s'il m'avait rencontrée.

Un livre assez pessimiste et triste sur le fond, dans lequel je suis un peu moins bien entré, notamment dans toute la première partie sur l'enfance et l'adolescence d'une petite puis jeune fille. La seconde partie , la période de l'épouse et de l'enfant  à élever est d'une telle vérité que c'en est presque gênant.

Roman que j'ai lu cependant avec beaucoup de plaisir tant l'écriture en est agréable et que je conseille vivement.