La montagne magique

de Thomas Mann (traduction de Maurice Betz),

Immense roman que j'ai relu  en deux mois (1016 pages dans mon édition)

Un grand texte, largement autobiographique , mais surtout très complexe réflexion philosophique, politique et sociologique sur le monde des années 1920, le tout dans une sorte de roman d'apprentissage où la ligne événementielle est vraiment très ténue.

Le personnage principal, Hans Castorp, jeune ingénieur rend visite à son cousin Joachim, militaire de son état , hospitalisé dans un sanatorium de Davos en Suisse. C'est une visite de courtoisie prévue pour trois semaines.

Il y restera 7ans !  

Cette montée symbolique depuis Hambourg, le plat pays,  jusque chez les "gens d'en haut", au pied de la montagne magique lui permet de croiser une galerie complète de personnages hauts en couleur, qui chacun à leur manière, contribueront à son initiation . Le roman n'est pas racontable, mais voici la liste des principaux intervenants  :

D'abord,  donnant son titre au roman et omniprésent dans sa symbolique : le décor

[...] la petite troupe avançait sur le sentier couvert d'aiguilles, ayant dans l'oreille le bruit de la cascade dont on s'approchait, ce vacarme et ce sifflement qui devenait peu à peu un véritable fracas et semblait devoir confirmer la prédiction de Settembrini.
Un tournant du chemin donna vue sur la gorge rocheuse et boisée qu'un pont enjambait, où tombait la cascade, et en même temps qu'on l'aperçut, le bruit parut augmenter : c'était un vacarme infernal. Les masses d'eau tombaient verticalement, en une seule cascade qui était haute d'au moins sept ou huit mètres et assez large, et elles dévalaient ensuite les rochers. Elles s'abattaient avec un bruit insensé où semblaient se mêler tous les sons et toutes les tonalités possibles, le fracas du tonnerre et le sifflement, le beuglement, le hurlement, la fanfare, le craquement, le crépitement, le grondement et le son de cloche, vraiment, on en était presque assourdi. Les visiteurs s'étaient approchés du rocher glissant et contemplaient, éclaboussés par un souffle humide, enveloppés par une buée d'eau, les oreilles emplies et comme capitonnées par le vacarme - tout en échangeant des regards et en hochant la tête avec un sourire intimidé -, ce spectacle, cette catastrophe continue, faite d'écume et de fracas, dont le grondement dément et excessif les étourdissait, leur faisait peur et leur causait des illusions de l'ouïe. On croyait entendre derrière soi et de toutes parts des cris d'alarme et des menaces, des trompettes et de rudes voix d'hommes.

Ensuite, un personnage féminin énigmatique, clé de l'initiation amoureuse, la belle russe Clawdia Chauchat.

Mais cette rencontre lui causa un saisissement, aussi bien lorsqu'elle eut lieu, que plus tard, à titre rétrospectif; car ce n'est que lorsque ce fut passé qu'il se rendit exactement compte comment cela avait été. Jamais encore il n'avait vu le visage de Mme Chauchat si proche de lui, si clairement distinct dans tous ses détails; il avait pu distinguer les petits cheveux qui se détachaient de l'entrelacement de sa natte blonde, laquelle tirait un peu vers le roux métallique et était simplement nouée autour de la tête, et il n'y avait eu que la largeur de quelques mains entre son visage à lui et le sien à elle, aux formes si étranges, mais depuis si longtemps familières et qui lui plaisaient comme rien d'autre au monde : des formes exotiques et pleines de caractère à la fois (car seul ce qui nous est étranger nous semble avoir du caractère), d'un exotisme nordique et mystérieux, qui excitait à l'exploration, dans la mesure où ses signes et ses rapports étaient difficiles à déterminer. Mais le plus caractéristique, c'était sans doute la saillie des pommettes placées très haut : elles cernaient de près les yeux placés exceptionnellement loin l'un de l'autre, à fleur de tête, et les rendait un peu obliques tout en donnant leur concavité suave aux joues, laquelle, à son tour, semblait entraîner la plénitude des lèvres légèrement retroussées. Mais il y avait surtout les yeux, ces yeux étroits de Kirghize et (du moins était-ce la pensée de Hans Castorp) d'une coupe vraiment magique, d'un gris bleu ou d'un bleu gris, qui était la couleur de montagnes lointaines, et qui parfois, en un regard oblique qui ne servait pas à voir, se fondaient et voilée en une coloration nocturne, ténébreuse les yeux de Clawdia qui l'avaient considéré d'un regard pénétrant et un peu sombre ...

Les débats philosophiques à valeur éducative opposent l'humaniste Settembrini au jésuite Naphta, tout à la fois communiste, fasciste et anarchiste. Se mêlent également à l'initiation le viveur Peeperkorn et à un degré moindre le médecin, psychanalyste de la première heure, Krokovski.

Hans Castorp lui-même , personnage principal, est un héros assez mou et faible en couleurs :

[...] à la fin du repas était le rince-doigts à l'eau aromatisée, le second la cigarette russe, non contrôlée par la régie, et qu'il se procurait en fraude. Elle précédait le cigare, une marque savoureuse de Brême, nommée Marie Mancini, dont il sera encore question par la suite et dont les poisons épicés s'alliaient d'une manière si satisfaisante à ceux du café. Hans Castorp mettait ses provisions de tabac à l'abri des influences néfastes du chauffage central en les conservant à la cave où il descendait chaque matin pour garnir son étui de sa dose journalière. Ce n'est qu'à contrecoeur qu'il eût mangé du beurre qu'on lui eût présenté en une seule pièce, et non découpé en forme de coquilles.
On voit que nous nous appliquons à tout dire ce qui peut prévenir contre lui, mais nous le jugeons sans exagération et ne le faisons ni pire ni meilleur qu'il n'était. Hans Castorp n'était ni un génie ni un imbécile, et si nous évitons pour le caractériser le mot de " moyen " c'est pour des raisons qui n'ont à faire ni avec son intelligence ni avec sa modeste personne, mais par respect pour sa destinée à laquelle nous sommes tentés d'accorder une certaine importance plus que personnelle. Son cerveau répondait aux exigences du Lycée, section sciences, sans qu'il eût besoin de fournir un effort démesuré, mais cet effort il n'eût certainement été disposé à le faire en aucune circonstance et pour aucun objet : moins de peur de se faire du mal, que parce qu'il ne voyait aucune raison pour l'y résoudre. ou plus exactement aucune raison absolue et c'est pour cela que nous ne l'appelons pas moyen, parce qu'il éprouvait en quelque façon l'absence de ces raisons.

En gros un roman passionnant où il ne se passe quasiment rien ; il faut s'accrocher mais la récompense est belle. J'ai vraiment beaucoup aimé !