Le pays des autres

de Leïla Slimani

Après la relecture de Saint-Exupéry, j'ai abordé un roman tout différent avec ce beau texte de Leïla Slimani , portrait de Mathilde, jeune alsacienne tombée amoureuse d'Amine, beau soldat marocain. Mais il est tout un monde entre une belle idylle en Alsace et la vie de femme mariée avec des enfants au fin fond d'un bled , dans une terre aride. D'autant que le roman se déroule dans les années 50, précisément au moment où  débutent les premières violences envers les colons et que le couple mixte crée suspicion et moqueries.

Souhaitant donner à sa fille Aïcha la meilleure éducation, elle se battra pour que la petite intègre une école catholique mais en même temps, tout en gardant son espace de liberté, elle se coulera dans le carcan des us et coutumes de ce pays si différent de son alsace natale.

Très nettement ancré dans l'autobiographie ( probablement, compte tenu des dates la grand-mère de l'auteur), ce roman peint une belle figure de femme avec ses doutes, ses certitudes et son envie de vivre.

J'ai vraiment beaucoup aimé.

Sur la route de l'école, le visage caressé par le vent, elle se disait qu'il y avait déjà dix ans qu'elle arpentait ce paysage et il lui semblait qu'elle n'avait rien réalisé. Quelle trace allait-elle laisser? Des centaines de repas avalés et disparus, des joies fugaces dont il ne restait rien, des chansons murmurées au bord d'un lit d'enfant, des après-midi à consoler des chagrins dont plus personne ne se souvenait. Des manches reprisées, des angoisses solitaires qu'elle ne partageait pas, par peur d'être moquée. Quoi qu'elle fit et malgré la gratitude immense de ses enfants et de ses malades, il lui semblait que sa vie n'était rien d'autre qu'une entreprise d'engloutissement. Tout ce qu'elle accomplissait était voué à disparaître, à s'effacer. C'était le lot de sa vie domestique et minuscule, où la répétition des mêmes gestes finissait par vous ronger les nerfs. Elle regardait par la fenêtre les plantations d'amandiers, les arpents de vigne, les jeunes arbustes qui arrivaient à maturité et qui, dans un an ou deux, porteraient des fruits. Elle était jalouse d'Amine, jalouse de ce domaine qu'il avait construit pierre à pierre et qui, en cette année 1955, lui donna ses premières satisfactions.