Saint -Exupéry,

Le magazine Télérama a eu l'excellente idée , à l'occasion de ces fêtes de Noël, de proposer un coffret de cinq romans importants de Saint-Exupéry : "Le Petit Prince", "Terre des hommes", "Courrier Sud", "Vol de nuit" et "Pilote de guerre".

Si  "Le Petit Prince" m'était parfaitement resté en mémoire, j'avais un peu oublié tous les autres. Et ce fut un grand plaisir de redécouvrir au fil de leur lecture toute la belle philosophie de St -Ex.

Courrier sud, à travers le personnage de Jacques Bernis raconte l'impossible amour de ce pilote et d'une femme mariée Geneviève...impossible comme ces traversées du Sahara , décors magnifiques, révélateurs de l'homme , des hommes qui s'effacent derrière le courrier  à transporter . Bernis disparaîtra mais le courrier sera sauvé.

Il leva les yeux de nouveau, De profil, penchée, elle rêvait, il la perdait si elle tournait à peine la tête.
Sans doute l'aimait-elle toujours, mais il ne faut pas trop demander à une faible petite fille. Il ne pouvait évidemment pas dire " je vous rends votre liberté " ni quelque phrase aussi absurde, mais il parla de ce qu'il comptait faire, de son avenir. Et dans la vie qu'il s'inventait, elle n'était pas prisonnière. Pour le remercier, elle posa sa petite main sur son bras : "Vous êtes tout... tout mon amour."  
Et c'était vrai, mais il connut aussi à ces mots-là qu'ils n'étaient pas faits l'un pour l'autre.

Et l'ultime phrase du roman :

De Saint-Louis du Sénégal pour Toulouse : France-Amérique retrouvé est Timéris stop. Parti ennemi à proximité stop. Pilote tué avion brisé courrier intact stop. Continue sur Dakar.

Vol de nuit raconte aussi la disparition de Fabien, pris dans une tempête au cours d'une traversée des Andes . Mais il ne se focalise pas que sur les pilotes. L'un des personnages centraux est Rivière, fondateur de la ligne, dur avec ses hommes qu'il aime pourtant , mais le courrier doit passer à tout prix.

" Pour se faire aimer, il suffit de plaindre. Je ne plains guère ou je le cache. J'aimerais bien pourtant m'entourer de l'amitié et de la douceur humaines. Un médecin, dans son métier, les rencontre. Mais ce sont les événements que je sers. Il faut que je forge les hommes pour qu'ils les servent. Comme je la sens bien cette loi obscure, le soir, dans mon bureau, devant les feuilles de route. Si je me laisse aller, si je laisse les événements bien réglés suivre leur cours, alors, mystérieux, naissent les incidents. Comme si ma volonté seule empêchait l'avion de se rompre en vol, ou la tempête de retarder le courrier en marche. Je suis surpris, parfois, de mon pouvoir."

Et le dénouement :

Chaque seconde emporte quelque chose.
Cette voix de Fabien, ce rire de Fabien, ce sourire. Le silence gagne du terrain. Un silence de plus en plus lourd, qui s'établit sur cet équipage comme le poids d'une mer.
Alors quelqu'un remarque :
- Une heure quarante. Dernière limite de l'essence : il est impossible qu'ils volent encore.
Et la paix se fait.
Quelque chose d'amer et de fade remonte aux lèvres comme aux fins de voyage. Quelque chose s'est accompli dont on ne sait rien, quelque chose d'un peu écœurant. Et parmi tous ces nickels et ces artères de cuivre, on ressent la tristesse même qui règne sur les usines ruinées. Tout ce matériel semble pesant, inutile, désaffecté : un poids de branches mortes.
Il n'y a plus qu'à attendre le jour.

Terre des hommes, toujours au fil des vols de l'aéropostale présente de nombreuses réflexions sur les réactions de l'homme confronté à ces moments ultimes où la mort semble inexorable. On en connait la célèbre phrase de Guillaumet :" Ce que j'ai fait, je te le jure, aucune bête ne l'aurait fait..."

Mais j'ai personnellement été très touché par les réflexions de l'écrivain , en agonie, avec son mécanicien Prévot, perdu , sans eau et sans plus aucun espoir :

Adieu, vous que j'aimais. Ce n'est point ma faute si le corps humain ne peut résister trois jours sans boire. Je ne me croyais pas prisonnier ainsi des fontaines. Je ne soupçonnais pas une aussi courte autonomie. On croit que l'homme peut s'en aller droit devant soi. On croit que l'homme est libre... On ne voit pas la corde qui le rattache au puits, qui le rattache, comme un cordon ombilical, au ventre de la terre. S'il fait un pas de plus, il meurt.
A part votre souffrance, je ne regrette rien. Tout compte fait, j'ai eu la meilleure part. Si je rentrais, je recommencerais. J'ai besoin de vivre. Dans les villes, il n'y a plus de vie humaine.
Il ne s'agit point ici d'aviation. L'avion, ce n'est pas une fin, c'est un moyen. Ce n'est pas pour l'avion que l'on risque sa vie. Ce n'est pas non plus pour sa charrue que le paysan laboure. Mais par l'avion, on quitte les villes et leurs comptables, et l'on retrouve une vérité paysanne.
On fait un travail d'homme et l'on connaît des soucis d'homme. On est en contact avec le vent, avec les étoiles, avec la nuit, avec le sable, avec la mer. On ruse avec les forces naturelles. On attend l'aube comme le jardinier attend le printemps. On attend l'escale comme une Terre promise, et l'on cherche sa vérité dans les étoiles.

Pilote de guerre ouvre une réflexion sur l'homme,la violence et la paix. Au prétexte d'une mission complètement absurde, alors que son avion , quasi sans défense est pris dans le feu des mitrailleuses, il s'interroge sur la gabegie des étata majors, sur le triste sort des milliers de personnes fuyant sous ses ailes l'avance allemande pour trouver pire ailleurs,, sur ce que la guerre révèle de l'Homme.

Je survole donc des routes noires de l'interminable sirop qui n'en finit plus de couler. On évacue, dit-on, les populations. Ce n'est déjà plus vrai. Elles s'évacuent d'elles-mêmes. Il est une contagion démente dans cet exode. Car où vont-ils, ces vagabonds ? Ils se mettent en marche vers le Sud, comme s'il était, là-bas, des logements et des aliments, comme s'il était, là-bas, des tendresses pour les accueillir. Mais il n'est, dans le Sud, que des villes pleines à craquer, où l'on couche dans les hangars et dont les provisions s'épuisent. Où les plus généreux se font peu à peu agressifs à cause de l'absurde de cette invasion qui, peu à peu, avec la lenteur d'un fleuve de boue, les engloutit. Une seule province ne peut ni loger ni nourrir la France!
Où vont-ils? Ils ne savent pas! Ils marchent vers des escales fantômes, car à peine cette caravane aborde-t-elle une oasis, que déjà il n'est plus d'oasis. Chaque oasis craque à son tour, et à son tour se déverse dans la caravane. Et si la caravane aborde un vrai village qui fait semblant de vivre encore, elle en épuise, dès le premier soir, toute la substance. Elle le nettoie comme les vers nettoient un os.

Je ne reparlerai pas du Petit Prince, que tout le monde connait par coeur. Mais, je conseille  à tous le plaisir d'une relecture de ces beaux textes.